Charmants rebelles
Georg Philipp Telemann (1681-1767) était considéré en son temps comme le plus important compositeur allemand. Admiré de ses pairs et des amateurs, il laissa une œuvre dont l’influence a été indispensable à la consolidation et à l’évolution de la musique en Allemagne pendant toute la première moitié du 18e siècle.
En 1685, à la mort de son père ministre protestant, la mère du jeune Georg Philipp le destinait à suivre la même profession, mais ses préférences le poussent très vite vers la musique. À l’âge de dix ans, il joue déjà les instruments à clavier, le violon, la flûte à bec et la cithare, en plus de commencer l’apprentissage de la composition. Quand à douze ans il entreprend de composer un opéra, sa mère et ses précepteurs lui interdisent la poursuite de ses ambitions musicales et lui confisquent ses instruments. En secret, il continue à se perfectionner en musique malgré les études plus conventionnelles que sa mère lui impose. Mais des rencontres providentielles ne font que l’encourager à persévérer en musique. Il entreprend alors entre autres instruments la flûte et le hautbois. Brillant élève dans les matières académiques, il est admis en 1701 à l’université de Leipzig, où, pour plaire à sa mère, il s’inscrit en droit. Qu’à cela ne tienne, la musique prend à nouveau le dessus, et pour de bon cette fois.
On le voit alors, infatigable, organiser des concerts publics dans de nombreux collegia musica, s’intéresser à l’éducation et à la théorie musicales, mais surtout composer une prodigieuse quantité d’œuvres : cantates d’église et profanes, oratorios et près de 50 opéras, sans compter qu’il fait revivre le lied allemand dans plusieurs publications. S’abreuvant à de multiples traditions musicales, il se préoccupe avant tout de l’élaboration d’un style national allemand nouveau et vivant mariant les manières française et italienne au traditionnel goût germanique pour le contrepoint.
Presque toute la musique instrumentale de Telemann date d’avant 1740 et couvre également plusieurs genres : environ 125 suites d’orchestre et de nombreuses sonates avec et sans accompagnement. On compte également autour de 125 concertos pour un à quatre solistes ou encore sans soliste, dont seulement trois ont été publiés de son vivant. Très actif comme éditeur, Telemann s’est naturellement concentré sur le marché le plus lucratif, celui offert par sa propre musique de chambre. Ainsi, sa musique subsistante pour grands ensembles ne se retrouve que sous forme de copies manuscrites, et là encore, la quasi-absence de manuscrits autographes empêche d’en établir une chronologie exacte.
Les trois concertos de Telemann de cet enregistrement ont probablement été composés avant 1721 à Eisenach ou à Francfort pour les concerts publics, dans cette dernière ville, du collegium musicum de la société Frauenstein dont il était responsable. Si plusieurs des concertos de cette période ont « un parfum de France » qui se hume quelque peu dans le Concerto pour flûte en ré majeur, ce sont les effluves de l’Italie qui se remarquent surtout — dont l’influence de Torelli — dans le Concerto pour cordes en mi majeur, que des copies manuscrites attribuent à « Melante », l’anagramme italianisante du nom de Telemann. Quant au Concerto pour alto en sol majeur, franchement dans le goût italien, il est probablement le premier concerto soliste pour cet instrument et démontre l’intérêt de Telemann pour les sonorités hors du commun. À noter qu’à la forme tripartite habituelle du concerto italien, Telemann préfère plus souvent la forme en quatre mouvements héritée de la sonata da chiesa.
À l’instar de son aîné Telemann, qu’il admirait, Johann Joachim Quantz (1697-1773) — bien qu’il ait été bien moins éclectique que lui — a puisé aux principales sources musicales de l’Europe grâce à ses nombreux voyages, en Allemagne, bien sûr, mais également en Pologne, en Bohème, en France, en Italie et en Angleterre. Il était pourtant destiné à devenir forgeron comme son père, mais au décès de celui-ci en 1707, le jeune Quantz est libre d’entreprendre son apprentissage musical. Comme Telemann, il étudie nombre d’instruments, dont le violon, le hautbois, la trompette, les cornets à bouquin et bien d’autres encore. Il finit cependant par se fixer sur la flûte traversière, étudiant brièvement avec Buffardin à Dresde et profitant de sa rencontre avec Blavet à Paris. Cependant, c’est son ami (et ami de Telemann), le premier violon de l’orchestre de la cour de Dresde J. G. Pisendel qui de l’aveu même de Quantz l’instruit le plus dans la manière de jouer et de composer selon le principe des goûts réunis des styles français et italien. Devenu par la suite le professeur de flûte et compositeur du roi Frédéric II de Prusse, écrivant dès 1741 exclusivement pour le monarque, il nous a laissé quelque 184 sonates et 281 concertos pour son instrument de prédilection. On se souvient de lui également pour son important essai sur la flûte traversière, qui traite également de nombreuses questions d’interprétation nous informant sur certaines pratiques de l’époque.
Les deux concertos de Quantz présentés dans ce programme proviennent de copies se trouvant à Dresde. Le Concerto pour flûte en ré majeur porte le numéro 144 parmi les œuvres cataloguées ayant appartenu au roi Frédéric II, conservées à Berlin. Le Concerto pour deux flûtes en sol mineur ne comporte pas de numéro de catalogue royal, mais existe dans une version alternative avec des parties de hautbois et de basson rajoutées par Pisendel. C’est la version accompagnée des seules cordes et du continuo qui est ici présentée. Ces œuvres permettent à merveille de mettre en évidence l’idéal sonore de leur compositeur : « un son clair, incisif, ample, rond et viril tout en étant agréable. »
© Jacques-André Houle