Le hautboïste François Chauvon (fl. 1710-40) fut un élève de François Couperin, à qui il dédia en 1717 l’ensemble de ses suites et sonates intitulées Tibiades. Il ne subsiste que peu d’information sur le compositeur, hormis sur les sonates, suites, cantates et autres œuvres qu’il publia entre 1712 et 1736. Chauvon semble avoir vu lui-même dans ses Tibiades une importante contribution à la création d’un nouveau style, car il les présentait comme un « nouveau genre » de compositions. Peut-être avait-il à l’esprit la diversité stylistique des œuvres et l’instrumentation innovatrice qu’il suggérait pour elles. Il précise, en page titre de la collection, que certaines des œuvres sont pour flûte et hautbois, tandis que d’autres sont pour violon, sans pourtant indiquer quel instrument ou quelle combinaison d’entre eux doit jouer dans chacun des mouvements. L’indication « pièces pour la flûte, et le hautbois » contraste avec la formulation plus habituelle, qui offre à l’exécutant un choix parmi plusieurs instruments de registre similaire. La Troisième Œuvre (1718) de Pierre Danican contient, par exemple, des suites pour « les Hautbois, Flûtes, Violons, etc. » Dans Les Nouveaux Bijoux, nous avons vu, dans la formulation de Chauvon, une invitation à créer diverses combinaisons faisant appel aux instruments qu’il spécifie, le clavecin jouant le continuo et le basson jouant à la fois la ligne du continuo et, aux endroits appropriés, celle du dessus.
On ressentit vivement en France, au début du dix-huitième siècle, l’influence de la texture du concertato italien, avec sa juxtaposition de tutti et de soli. Tout comme dans le présent cas, la partition était souvent vague, n’indiquant ni les sections de tutti ou de soli, ni le nombre des instruments assignés à un passage. Même les distinctions de genres tels que la suite, la sonate, le concerto et la symphonie étaient, soit omises, soit appliquées sans trop de rigueur. Les manuscrits et les descriptions montrent que des pratiques aujourd’hui fermement associées au concerto, par exemple, étaient appliquées à des œuvres qu’on percevrait comme des sonates ou des suites. Cette liberté dans le choix des instruments et des combinaisons fait partie intégrale de notre conception des Tibiades de Chauvon. Les choix instrumentaux annoncent le caractère de la partition par la clé : la suite en sol mineur avec le hautbois, par exemple. Chauvon adopte cependant, par ailleurs, la passion française pour la musique programmatique, suivant particulièrement l’exemple de Couperin qui, dans les Ordres pour clavecin, coiffe de nombreux mouvements de sous-titres descriptifs. Il s’agit, dans certains cas, de descriptions du caractère générique. L’Allemande de la Suite en sol majeur est « La déterminée, » que Richelet définit comme « une personne primesautière, malveillante, fanatique, fanfaronne, téméraire, extravagante. D’autres, telle la Sarabande en Rondeau en sol mineur, « La Mélancholique », décrivent des états émotifs. D’autres encore proposent des portraits de personnes, telle la Chaconne en Rondeau de la suite en ré mineur, appelée « La Besson », probablement d’après Michel-Gabriel Besson, musicien de la Cour et auteur d’un volume de sonates pour violon (1720). D’autres enfin personnifient les forces de la nature, telles les rafales dans « Les Tourbillons, » de la suite en sol majeur.
La suite en ré majeur illustre notre approche de ces œuvres. Le Prélude fait appel à la combinaison de la flûte et du hautbois à l’unisson et du basson solo en tant qu’instruments mélodiques. Dans la Courante, le hautbois est seul en ligne mélodique, tandis que dans la « Samaritaine », description d’une fontaine ornementée, la flûte joue la mélodie avec le violon en ligne continuo. La Chaconne fait appel à la texture du concerto, des soli de tous les instruments aigus contrastant avec les passages tutti du refrain. L’Allemande qui conclut met encore en vedette la flûte et le violon. Les contrastes de timbre, de texture et d’ornementation incarnent l’innovation, le cachet artistique et la variété qu’on retrouve dans les Tibiades de Chauvon.
Tom Owens
L’information sur les indications de mouvements chez Chauvon est extraite de l’« Introduction » aux Tibiades, de Jean Saint-Arroman et Philippe Lescat. (Édition Fuzeau, 1995), 5-10..